Les principaux critères de choix des bibliophiles sont en général d'abord intellectuels : on recherche les textes d'un auteur, les traités sur un sujet ou sur une période. Parfois ils sont esthétiques : tel autre amateur recherchera des modèles de typographie, des illustrés, des reliures. Dans un nombre plus restreint de cas, le critère prédominant sera affectif et sentimental. Pour ces amateurs, ce sont les « propriétaires successifs » du livre qui donnent à chaque volume une valeur propre. Certains bibliophiles érudits recherchent même la « traçabilité » du livre en remontant les époques et les différents possesseurs. Cela devient alors une chasse passionnante ! On pourrait ainsi écrire la «vie » d’un livre depuis son impression et en relater les différentes périodes… Cela deviendrait un vrai roman où le personnage central serait un livre qui témoignerait de son existence, donnant de-ci et de-là des souvenirs, anecdotes, émotions, joies et peines… Ces exemplaires, dits à provenance, se classent en trois principaux groupes selon la marque qui les distingue de leurs congénères.
Les marques extérieures :
armes, chiffres, devises ou symboles dorés sur la.reliure. Les livres aux armes ont toujours été recherchés car ils restent un témoin de la splendeur passée de l'ancien régime. La principale référence pour identifier les reliures armoriées est le précieux « Manuel de l'amateur de reliures armoriées françaises » d'Olivier, Hermal et Roton, composé de 30 volumes et qui contient près de 10 000 fers héraldiques reproduits. Les chiffres, les devises et les symboles restent parfois hermétiques, mais l'expérience et la compilation d'innombrables catalogues, l'esprit de déduction parfois, permettent le plus souvent de reconnaître le possesseur à l'indice qu'il a laissé sur ses reliures : la marquise du Deffand qui raffolait des félins faisait dorer des chats au dos de ses reliures ; le baron Pichon avait fait dorer des navettes sur un lot de livres qui provenaient du fils de Christophe Colomb ; le discret chiffre PB qui figure sur des reliures en veau de la fin du XVIIIe siècle est celui d'un couple fameux : Pagerie-Bonaparte.
Les ex-libris et tampons d’appartenance.
Ce terme latin un peu vague signifie « De la bibliothèque de...». L'ex-libris peut être imprimé ou gravé sur une petite vignette et collé sur le contreplat du livre ; il peut être manuscrit, c'est alors le plus souvent une signature du possesseur sur la page de titre ; il peut enfin apparaître sous forme de tampon à sec ou encré, ce qui est déconseillé car un cachet défigure souvent le livre. La principale référence pour les ex-libris gravés est le copieux répertoire de Geneviève Meyer-Noirel, actuellement continué par Jacques Laget. Le tampon est un procédé d’identification du livre. L’observation des illustrations anciennes figurant sur les tampons de l’époque permet de retracer une histoire du livre. Vers 1680 on commence d’utiliser des tampons « d’appartenance » qui remplaçaient l’écriture manuscrite. Ces tampons avec texte ou image pouvaient se graver dans du bois, du liège ou de la cire. Le tampon caoutchouc se développera à grande échelle qu’à partir de 1860. - Lire à ce sujet l’ouvrage de Jean François Gilmont « Le livre et ses secrets » - Louvain, éditions de l’Université Catholique – 2003.
Les envois autographes d'auteur.
Dans quelques cas, l'auteur du livre a souhaité personnaliser un exemplaire pour le remettre à un proche, à un collaborateur ou à un protecteur en écrivant sur le faux-titre une phrase amicale ou respectueuse. Il faut bien insister ici sur la différence entre la dédicace imprimée par laquelle l'auteur dédie, c'est à dire présente pour la postérité, son travail à un tiers, et la dédicace manuscrite qui ne porte que sur le volume individuel et non sur tout le tirage. Dédier et dédicacer ont des sens bien différents mais ont donné naissance à un seul substantif, la dédicace, d'où de nombreuses confusions. Les envois, rares avant le XIXème siècle, sont devenus plus fréquents à l'époque romantique où les relations des auteurs avec leurs protecteurs et leurs confrères devenaient moins protocolaires. Les envois d'écrivains sont particulièrement recherchés aujourd'hui. (cf. BAGET François « Le monde de la dédicace et de ses auteurs » - 3 volumes – Publications LDH.)
Certains types de livres à provenances sont particulièrement plaisants ; une expression anglaise les désigne sous le terme d'association copy (exemplaire d'association). Ce vocable désigne les exemplaires dans lesquels il existe une relation étroite et triangulaire entre l'auteur, le livre (texte illustration ou reliure) et le possesseur : on peut citer le cas des exemplaires de dédicace, c'est-à-dire ceux qui ont été offerts par l'auteur à celui à qui l'ouvrage est dédié. Ce peut être également un livre relié aux armes d'un personnage dont il est éminemment question dans le livre, ou un livre du jeune colonel de Gaulle avec un envoi à son supérieur le maréchal Pétain...
La documentation permettant d'identifier et d'authentifier les livres à provenance est pléthorique et coûteuse. Il faut notamment se procurer un grand nombre de catalogues de ventes de collectionneurs anciens ou modernes. L'amateur ne peut se lancer dans de telles acquisitions mais il peut toujours demander une photocopie ou photo de la documentation au libraire. Quant au collectionneur, il a toute latitude pour, à son tour, imaginer une petite marque symbolisant sa spécialité qu'il apposera respectueusement à côté des plus anciennes, sans jamais les recouvrir. Le livre est le seul objet d'art sur lequel chaque possesseur peut laisser sa trace, non seulement sans dommage, mais plus encore, en lui donnant un attrait supplémentaire pour les bibliophiles du futur. (Avec les conseils d’Anne Lamort.)
(*) La bibliothèque Inguimbertine rassemble 76000 volumes d’imprimés anciens et plus de 3000 manuscrits, notamment les papiers de l’érudit aixois, Peiresc. Parmi les 54 plus riches bibliothèques municipales classées, la bibliothèque Inguimbertine réunit aujourd’hui des ouvrages rares et précieux, manuscrits et peintures, incunables, partitions de musique de Mozart, reliures d’art, monnaies et médailles, estampes, dessins, cartes et plans… qui lui confèrent une renommée internationale.