Deuxième partie :
Ainsi, au hasard des recherches on peut terminer cette enquête par d’autres témoignages passionnants d’ouvrages reliés en peau humaine… Gayet de Sansale, bibliothécaire de la Sorbonne au XVIII° siècle, signale une décrétale (une lettre par laquelle le pape, en réponse à une demande, édicte une règle en matière disciplinaire ou canonique) concernant une bible reliée et rédigée sur peau humaine... Il en va de même de l’abbé Rive qui semble toutefois avoir confondu la peau humaine avec un vélin très fin ... Un livre d’anatomie d’Askew (vers 1770) et un traité des maladies de la peau de Hunter (vers 1780) sont signalés ainsi reliés sans doute pour harmoniser la reliure et le sujet.
La bibliothèque impériale de Vienne aurait possédé un manuscrit illustré mexicain écrit sur parchemin de peau humaine. Il existerait à la Bibliothèque Nationale de France deux livres reliés avec la peau d’une aristocrate guillotinée lors de la révolution et, au musée Carnavalet, une « Constitution de la République » et une « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » reliées avec la peau de Vendéens victimes des exactions des Bleus. Gabriel Peignot fait état dans son « Essai de curiosités bibliographiques » (1804) de deux livres écrits et reliés en peau humaine conservés dans les bibliothèques de Dresde et de Vienne.
Le compte rendu de l’affaire criminelle « Corden » jugée en Angleterre en 1829 aurait été relié avec la peau de l’assassin. En 1827, William Corden tue sa maitresse Maria Martin à Red Barn (Royaume-Uni). Il fut pendu à Bury St.Edmunds en 1828. Après son exécution la peau de son dos servit à relier le livre pour la confection d'une histoire de la criminalité. L'exemplaire est actuellement au Moyse's Hall Museum à Bury St. Edmunds.
Un bibliomane (ou bibliomaniaque ?) américain, le docteur Matthew Wood, ayant acquis la bibliothèque de l’allemand Kaufmann en aurait fait relier une partie de celle-ci avec la peau de son ex propriétaire La bibliothèque de Boston abriterait les Mémoires de Walton relié avec la peau de l’auteur en 1837 et portant sur le premier plat la mention latine « Hic liber Waltonis cute compactus est ».
Plusieurs exemples sont attestés de livres érotiques ou de curiosa reliés en peau de seins de femme, les mamelons étant utilisés comme « Médaillons » et éléments de décor...
Les Frères Goncourt ont signalé le fait dans leur journal (1866), y signalant aussi l’activité de certains internes de l’hôpital de Clamart révoqués pour trafic de peau humaine avec des relieurs et ils avaient précédemment cité (tome II ) le cas du bibliophile anglais Henhey rêvant d’un livre relié en peau humaine prélevée sur une femme vivante et prétendant que l’un de ses amis, un certain docteur Bartsh voyageant en Afrique, s’était fait fort de la lui procurer… Dans d’autres cas plus rares le visage fut utilisé pour décorer les plats d’un livre : on en connaît un exemple datant de 1606 sur lequel apparaît le visage d’un jésuite.
Anatole France, sans que l’on puisse savoir s’il pensait à la reliure de ses œuvres a déclaré que « Il n’y a pas de plus fin, de plus riche, de plus beau tissu que la peau d’une jolie femme ».
La comtesse de Saint Ange aurait, par testament, légué la peau de ses épaules à Camille Flammarion afin qu’il l’utilise pour la reliure du premier livre à paraître après sa mort (ce qui fut fait, en 1877, pour l’ouvrage « Ciel et terre » avec mention sur les plats en lettres d’or : « Souvenir d’une morte ... » qui est à présent conservé à l’observatoire de Juvisy).
Un certain Aimé Leroy fit relier en 1813 un exemplaire de la traduction des Géorgiques de Delille avec, sous un médaillon d’écaille transparente, un lambeau de la propre peau de l’écrivain qu’il avait pu soustraire frauduleusement lors de l’embaumement du corps. Ce livre se trouverait à la bibliothèque de Valenciennes...
Sources : Article : Lauranne Sirenko.
Dans ma vie professionnelle, j’ai eu deux fois l’occasion de « toucher » ce genre de reliure. Une première fois, à l’occasion d’une vente publique, au cours de laquelle une reliure en peau humaine a été mise en vente, c’était à Dijon. Et la seconde fois, dans une vente à Troyes où le livre était une petite curiosité, mi ouvrage précieux, mi ouvrage pour dame, du XVIIIème, dans une reliure relativement fraîche… Pour tout dire, lors de la première vente, je suis allé à l’exposition la veille et j’ai demandé à voir de près l’ouvrage. Dès le moment où mes doigts ont effleuré le plat de reliure, j’ai senti un trouble, une forme de gêne. Une sensation de malaise… Je repensai à l’article que consacra le célèbre bibliographe dijonnais Gabriel Peignot, dans son « Essai de curiosités bibliographiques » publié en 1804, qui parle de deux livres écrits sur de la peau humaine et conservés à Vienne et à Dresde. Pour lui, il n’est nullement question de surprise car il explique rapidement que cette « façon de relier » est relativement courante entre le XVIème et le milieu du XIXème siècle ! Si l’on interroge les fichiers des grandes bibliothèques européennes ou du monde on aurait de belles surprises…
LES RELIURES EN PEAU HUMAINE (1)
Voici un premier billet consacré à la reliure en peau humaine, reprenant un excellent article de la gazette Plaisir de Bibliophile, le plus complet que j'aie pu lire sur le sujet. Il y en aura ...
http://laporteouverte.me/2012/09/15/les-reliures-en-peau-humaine-1/
E. de Crauzat. « Les reliures en peau humaine » - Septembre 2012 -