Cela fait bientôt quatorze ans que fut publié le premier volume du « Monde de la dédicace et de ses auteurs » ! François Baget au gré de ses recherches rassembla de nombreux envois autographes. Il les archiva, les classa et décida d’en faire un livre. Il a souhaité collationner « avec légèreté » ces petites mots et locutions, souvent aimables, qui marquent le début d’un ouvrage. Ce lien entre un auteur et son lecteur !
Le bibliophile Heurtebise vous propose de découvrir, (ou redécouvrir pour certains d’entre vous) la préface de Claudine Vincenot, fille de l’écrivain bourguignon Henri Vincenot (1912-1985). Cet agréable texte ouvre les pages aux nombreux commentaires et reproductions de 151 dédicaces… Mais l’auteur agrémenta son propos d’un long préambule qui explique « l’art de dédicacer un livre ». Voici donc le texte relatif au premier volume du Monde de la dédicace !
Préface de Claudine Vincenot
Il ne suffit pas d’aller par tous les vents à la chasse aux papillons ; il faut ensuite, au-delà du plaisir de la poursuite dans les herbes folles et de la prise victorieuse, savoir les faire parler : les identifier, les répertorier, les classer, bref, leur donner du sens. C’est là le travail et la jubilation du collectionneur. Et c’est cette longue tâche que s’est fixée François Baget avec son « filet à dédicaces ». Dans le ciel pur des pages de titre il a su attraper les mots voltigeant en coulisse du livre, en un « après-écrire » des imaginations libérées : l’écrivain a achevé son œuvre ; on lui demande de la continuer, un peu, comme un petit cadeau en plus : il invente une dédicace, par plaisir ou par devoir, avec un talent, qui n’égale pas toujours celui de son auteur,… ou qui parfois surprend par sa qualité, une fois le lecteur déçu par l’ouvrage dont il vient d’achever la lecture. Tracé gracieux du papillon tout en volutes au travers de la page, ou bien écriture sans élégance, dans un coin, comme pour s’excuser d’avoir été surprise dans son antichambre, la dédicace dit beaucoup ou ne veut rien dire du tout, mais elle est toujours un petit signe.
Ce sont tous ces cas de figures que François Baget a mis en page pour tenter de décrypter qui dédicace, pour qui et pourquoi. Travail imposant mais qui ne laisse pas de charmer par ce qui est expliqué, proposé, suggéré par l’auteur en regard des envois retenus. On ne saurait trop insister sur la nécessité première de lire attentivement les « Préambules », véritable initiation à la genèse de la dédicace au fil des siècles. D’une très belle étoffe, ces textes ont, à la fois, la grâce d’un qui aime les mots et la science de celui dont le métier et la passion sont de fréquenter les belles lettres et les beaux livres : chaque terme est choisi et inséré à sa juste place, pour faire mieux encore rebondir l’image et caracoler la pensée. Riches d’une grande culture de l’édition littéraire, les « avant-lire », de ce bibliophile passionné autant qu’érudit, sont une indispensable « mise en bouche » qui permet mieux encore de savourer les dédicaces, des plus ingénieuses au plus inutiles, des plus émouvantes aux plus cocasses, des plus malaisées aux plus gracieuses. Lire d’abord, avec soins, François Baget nous offre le fil nécessaire qui nous oriente dans son dédale de références, au cœur de tous ces trésors bien trop souvent ignorés.
Le lire… et le relire, car il ne faut pas manquer, non plus, de savourer la postface, où « un enfant, un jour, peut-être » partira, à son tour, à la chasse aux dédicaces dans la jungle de l’écriture.
Claudine Vincenot
- Préambule -
« J’ai vu la fée un jour au bord de mes vingt ans,
et de l’avoir vue fuir je pleure en mon vieux temps.
J’en ai pourtant compris, souffert et vu des choses,
la misère et l’amour et la neige et les roses.
J’ai vu de bonnes gens, j’ai vu des saintes gens,
mais je n’ai jamais vu mon chapeau plein d’argent. »
« Confidence » … Un poème de Paul Fort… Oui et non ! C’est avant-tout la superbe dédicace à l’intention de monsieur Louis Godchot… « Avec mes hommages les plus distingués et en bien amical souvenir… » Juin 1929. Signé Paul Fort !
A l’ère technologique du téléphone portable, du mail ou encore du SMS, il est important de goûter aux plaisirs de la dédicace. Cela procure une vive émotion et une pointe de nostalgie…
Trois grands moments de bonheur habitent la vie d’un écrivain.
Le premier, c’est lorsqu’il signe le « contrat » d’édition avec son éditeur. Il a œuvré tant de mois, corrigeant, raturant, remaniant sans trêve le manuscrit. A moins qu’il soit adepte des traitements de textes informatiques et autres « Word », cliquant sans relâche sur la souris… Aussi quelle satisfaction, enfin quel soulagement de contempler l’œuvre achevée, parfaite et définitive !
Le second, c’est lorsque l’ouvrage sort des presses de l’imprimerie et que l’auteur reçoit un service de quelques exemplaires. Avec quelle joie subtile, quelle fierté, quel doux sentiment de légitime orgueil contemple-t-il cette pile de livres brochés ou parfois agrémentés d’une jaquette sentant le papier neuf et l’encre fraîche ! Alors il le couve du regard, le palpe, le retourne, lit quelques passages et soupire d’aise… Que ce soit son premier ou son dixième ouvrage, c’est une œuvre imprimée et qui consacre son créateur, le place au rang des Ecrivains, le hisse au Panthéon des auteurs, des petits et des grands…
Le troisième bonheur est l’envoi de son livre, agrémenté d’une jolie dédicace. C’est sans doute le plaisir le plus délicat, le plus intense, le plus suave.
Qu’il s’agisse d’un roman, d’un recueil de poèmes, d’une simple monographie, il est infiniment agréable de le faire parvenir, accompagné d’un petit mot en page de garde ou de faux-titre à ses amis, relations, critiques, bref au monde étonnant de la galaxie littéraire !
C’est là qu’intervient le grand art de la dédicace !
L’auteur aura à cœur que celle-ci soit personnelle, agréable au dédicataire, spirituelle, en un mot : à la hauteur de son œuvre…
Rien à voir dans cette construction amoureusement bâtie avec les simples « hommages » hâtivement griffonnés au cours de séances répétitives de signatures dans les salons littéraires ou les librairies. Ceux-là ne sont que de simples autographes qui ne passionnent que quelques collectionneurs à l’affût de célébrités éphémères ou de curiosités parisiennes.
Mais là n’est pas notre propos…
Non, ce qui est intéressant ce sont les dédicaces personnalisées, où l’auteur, s’adressant à un lecteur inconnu, un ami sincère, un parent, un être chéri, a rédigé ce petit texte.
Au gré de mes recherches j’ai découvert parfois de petits chefs-d’œuvre, plein d’humour, de gentillesse, d’amabilité sincère (ou moins sincère), ou parfois de rosserie… Tenez, en page 18 (*) un des fleurons de ce recueil : vingt lignes de la main de Marcel Aymé, ce merveilleux conteur aux romans enchanteurs, qui sous le jargon notarié prête sa jument verte par acte sous-seing-privé. Et quelques pages plus loin, vous découvrirez quelques mots aimables à l’humour délicat du grand Sacha Guitry à l’égard de l’acteur Bernard Blier. Passez en page 137 et vous pourrez lire l’amusant et drôle d’envoi d’Albert Paraz à Arletty.
Bref, aux fils de ces pages défileront humour, mots délicats et bien pensés, tournures adroites allant droit au cœur, locutions familières ou soutenues. Je ne résiste pas au plaisir de livrer ma préférée, offerte à ma fille Diane, par Jacques Cassabois, auteur franc-comtois, qui en quelques lignes enchanteresses résume parfaitement l’art de la dédicace.
Je me suis donc efforcé de réunir ici, dans ce premier volume (d’autres suivront), de jolies pièces de qualité émanant d’auteurs souvent renommés, parfois moins célèbres ou parfois malheureusement inconnus du grand public !
L’habitude de dédicacer une œuvre littéraire, c’est à dire de la faire précéder d’un hommage à quelque personnage, semble d’abord lié à une organisation sociale monarchique (ou aristocratique), qui permet aux Grands de combler les écrivains de leurs faveurs. Alors la dédicace devient un témoignage de reconnaissance (Les Odes d’Horace à Mécène), ou la sollicitation d’une protection (lire le préambule de la dédicace de « l’Institution chrétienne » de Calvin à François I°.) Parfois dans une épître en vers ou en prose s’insinue une flatterie plus ou moins discrète (le texte remarquable et hyperbolique de « Cinna » de Corneille au financier Montoron animé par de larges débats sur la nécessité et la justification du Pouvoir Absolu). Tel est le caractère de ces petits textes accompagnant les grandes œuvres classiques. Mais la dédicace n’a réellement fleuri qu’à partir du XVIIIème siècle où les esprits s’affranchirent de la sujétion à l’égard des Grands. La dédicace change donc de nature, se transforme et devient une forme d’art. Elle évolue souvent en apologie ou en manifeste. Ainsi Voltaire rompt avec la tradition en dédiant à un marchand anglais sa tragédie de Brutus, et expose à cette occasion ses conceptions modernes du théâtre. De même on peut citer la dédicace imaginaire à Lord *** du « More de Venise » d’Alfred de Vigny qui constitue l’un des manifestes de la dramaturgie romantique.
Mais précisons un point sémantique : je prends ici le vocable de dédicace dans son acceptation courante et non dans celle des siècles précédents. Les bibliophiles et collectionneurs avertis parleront d’envoi d’auteur, réservant le mot dédicace à l’action de dédier un ouvrage, c’est à dire de le placer sous le patronage d’un illustre Maître comme je l’ai précisé plus haut.
Au fil des années la formulation de la dédicace a évolué. Elle n’a réellement fleuri qu’au milieu du XIXème siècle pour s’épanouir à l’époque contemporaine. La dédicace est devenue en général plus simple, réduite à quelques mots ou lignes, expression d’une forme littéraire ou d’une filiation artistique. Je pense évidemment à la dédicace des « Fleurs du Mal » de Baudelaire à Théophile Gautier. (Un témoignage d’amitié ou d’hommage à la mémoire d’un disparu).
Ces quelques mots un peu magiques sont devenus une forme littéraire reconnue et acceptée par le monde littéraire. Elle possède ses acteurs, ses méthodes, ses symboles. Tout écrivain qui se respecte est heureux d’offrir un envoi bien senti. En retour les lecteurs sont flattés et s’enorgueillissent en rangeant amoureusement sur les rayons de leur bibliothèque les éditions originales, grands papiers ou plus simplement les éditions courantes ornées de ces lignes flatteuses. Quelle joie de montrer à un ami son nom figurant en page de faux-titre accompagné d’une signature prestigieuse !
Alors la dédicace serait-elle un exercice de style ? Presque !
D’abord on rencontre souvent après le nom et prénom du dédicataire quelques mots aimables (bien cordiale pensée, etc…) qui introduisent rapidement une locution plus personnelle. Le choix des mots alors devient un signifiant pertinent qui fait l’harmonie de l’envoi. Cela est frappant pour la dédicace d’Edmonde Charles-Roux (page 41), d’Yves Christen (page 42) ou celle de Jean-François Kahn (page 108). Alors c’est là que le texte de la dédicace prend toute son importance : en raison de la notoriété du dédicataire et de l’affinité subtile entre lui et l’auteur. Il est intéressant de noter le rapport étroit entre les deux personnes mais aussi du moment et du lieu où s’inscrit la dédicace. Ensuite s’installe rapidement le contact : le regard, donner son nom, les premiers mots de présentation, la poignée de main, les remerciements… Voilà en quelques minutes la consécration aboutie.
Ensuite l’auteur rédige son envoi sur la page de faux-titre. L’astuce agréable est d’y incorporer le titre de l’ouvrage ou d’en modifier parfois l’ordre des mots. Passez en page 184 et vous goûterez la subtilité de « l’Alphabet des Aveux » de Louise de Vilmorin. La feuille de trèfle orne la page de faux-titre où chaque pétale est garni de mots agréables. Certains auteurs agrémentent parfois d’un dessin leur texte (cas bien connu chez Jean Cocteau). Voir à ce titre l’amusante dédicace de Galtier-Boissière suivie de celle de Dignimont accompagnée d’un charmant dessin. (Voir la page 87). Vient ensuite la signature qui se doit (à mon avis) belle et lisible accompagnée de la date. Assez rarement les écrivains soignent ses détails qui ont leur importance. Charles Maurras bâclait ses envois, Paul Fort les peaufinaient – (Voir les pages 126 & 81). Certes il existe aussi des esprits fantaisistes qui écrivent à la plume d’oie ou avec des encres de couleurs, voire quelques originaux qui dédicacent sur les tranches de l’ouvrage… Certains plus érudits qui livrent une information, une clé de lecture, un secret. D’autres qui emploient le second-degré mêlant l’humour grinçant ou phrase obscure. A ce propos j’ai en mémoire un bel envoi du Docteur Gérard Zwang, sexologue, qui avait écrit pour son ouvrage « Lettre aux mal baisants » publié chez Albin-Michel le texte suivant : « A monsieur X qui manifeste un louable désir de s’instruire ! »
Certes, il est agréable de faire dédicacer un ouvrage et de rencontrer son auteur. Il existe donc des collectionneurs d’envois, tout comme les amateurs d’autographes ou d’ex-libris. En effet si les autographes possèdent une valeur marchande, en plus des facteurs affectifs ou culturels, un élément inattendu s’est ajouté à la collection : la valeur de placement. A ce propos les ouvrages dédicacés ajoutent une valeur certaine au livre surtout quand la notoriété de l’auteur, la qualité de l’écriture, l’intérêt du sujet, la tournure des mots sont autant de points qui captivent le collectionneur et satisfont sa curiosité. C’est pourquoi un ouvrage agrémenté d’une jolie dédicace élève sa cote. La valeur d’un envoi ne se mesure pas à la longueur, mais à l’intérêt. A vous de savoir le comprendre mieux que celui qui vous le vendra. Mais que l’on soit néophyte, amateur, collectionneur ou professionnel, la véritable richesse d’une dédicace réside dans la satisfaction et le contentement de sa découverte.
Roger Martin du Gard était de ces écrivains qui, outre une œuvre importante en pages écrites, était un bibliophile averti. Sa bibliothèque regorgeait de documents rares et intéressants. Mais cet auteur, avant tout, collectionnait les ouvrages dédicacés aux signatures prestigieuses : Balzac, Cocteau, Colette, Gary, Gide, Kessel, Larbaud, Malraux, Saint-Exupéry, Sartre, Verlaine, Yourcenar…
Une anecdote à ce sujet. Comme tout intellectuel, Roger Martin du Gard s’intéressait aux problèmes de la religion. Il avait reçu en 1948 en Service de Presse de la part d’Auguste Valensin « Autour de ma foi, dialogues avec moi-même ». Son auteur avait associé au compliment d’usage une curieuse déclaration suivie d’une drôle de requête :
« Mon cher ami, s’il y a un livre qui n’est certainement pas pour vous, c’est bien celui-là ! Quand vous aurez lu la page 123 (à cause d’une phrase dont vous avez vu le premier jet), laissez tout le reste. Nous n’en parlerons pas. Vous me feriez de la peine en vous imposant de le lire. Je mesurerai votre amitié à votre désobéissance. Très à vous… »
Coquetterie d’écrivain ou sincère embarras ? Son dédicataire répliqua avec la plus cruelle des loyautés :
« …Et puisque vous mesurez mon amitié à ma soumission, je me vengerai en me soumettant ! R. Martin du Gard ».
Le peu de cas que l’on fait aujourd’hui des considérations théologiques d’Auguste Valensin ajoute à la portée de l’anecdote…
On reproche souvent aux collectionneurs de dédicaces et aux bibliophiles d’en rester au seuil des livres. Mais il arrive parfois que le seuil soit franchi et qu’une porte soit ouverte.
Alors, amis lecteurs, ouvrez cette porte qu’est ce recueil d’envois et surtout goûtez-en le pittoresque et la subtilité de leurs auteurs !
P
(*) Les numéros de pages notés dans ce texte correspondent à la première édition du volume 1, et renvoient aux fac-similés des dédicaces…
La dédicace est parfois une petite œuvre littéraire à part entière. Elle prolonge, elle embellit le livre, et constitue un exercice de style ingénieux. C’est aussi une tradition avec ses rites et ses coutumes qui participe à l’histoire de la littérature, tout au moins de sa petite histoire. La dédicace est parfois une petite œuvre littéraire à part entière. Elle prolonge, elle embellit le livre, et constitue un exercice de style ingénieux. C’est aussi une tradition avec ses rites et ses coutumes qui participe à l’histoire de la littérature, tout au moins de sa petite histoire.
Un premier volume est paru en 2006, puis deux autres. Ils présentent au total cinq cent trente écrivains, soit cinq cent trente « beaux envois d’auteurs » - comme disent les bibliophiles – et qui ont le mérite de l’originalité, de la drôlerie et de la spontanéité…
D’horizons différents, tant littéraires, scientifiques, historiques que politiques ou militaires ils vous séduiront par l’audace et satisferont votre curiosité. Voici donc l’ensemble de cette publication. Cinq cent trente écrivains présentés et analysés. De nombreuses notes d’informations, des remarques biographiques, ainsi que des notules bibliophiliques permettront de mieux cerner l’auteur, son environnement et sa personnalité.
Diffusion L. D. H. Librairie Heurtebise. Préface de Claudine Vincenot. Textes agrémentés de photos en noir et de nombreuses reproductions d’ouvrages. 3 tomes sur papier ivoire. Reliure dos carré grec collé. Format 21 X 29,7cm. Couvertures illustrées et pelliculées brillantes. Introduction et notes de Fr. Baget.
Achat volume 1 seul : 22 € (port compris lettre-verte) – L’ensemble (3 volumes) : 35 € (port compris en colissimo).
Concernant cette publication, vous pouvez retrouver dans l’historique de ce blog un commentaire critique et des photos dans les pages publiées en octobre 2016 !