Au gré de mes rencontres avec ma clientèle, je fus en relation dans les années 2000 avec le dernier modèle du peintre Matisse. Annelies Nelck avait publié un récit émouvant et sincère, déjà de son enfance et de sa vie d’artiste, mais surtout de sa relation artistique avec Henri Matisse. A cette époque je lui avais proposé de diffuser son livre et d’en informer mon réseau de clients... Agée alors de 75 ans, elle me confia certains de ses souvenirs...
Je recommande son ouvrage plein de mansuétude et si riche en renseignements !
Annelies Nelck - Matisse à Vence - l’Olivier du Rêve. Témoignage. 1999. 183 pages. Nombreuses photos en noir et en couleurs. Diffusion à compte d’auteur.
Annelies Nelck (1925-2014) née à Nice fut le dernier modèle du peintre Henri Matisse. C’est au début des années 1940, qu’elle posa pour lui à Nice. Quelques années plus tard en 1947, elle épousa le peintre et sculpteur Jean Vincent de Crozals.
En 1943, Matisse quitte Nice, menacée par les bombardements de la Seconde guerre mondiale, pour la villa Le Rêve à Vence où il séjourne jusqu’en 1949. Il peint au printemps 1944, la Lectrice à la table jaune qui fait partie des nombreux tableaux de la période dite « de Vence ». Matisse y reprend avec son modèle et assistante Annelies Nelck le thème, récurrent dans son œuvre, de la lecture. Dans ce tableau, composé d’aplats colorés, sur lesquels se détachent les traits du modèle, celui-ci, bras appuyés sur une table, pose son regard sur un livre ouvert. Un bouquet de fleurs, des grenades et un verre à vin du Rhin, objets également conservés dans les collections du musée, complètent la composition qui s’articule entre deux registres horizontaux, l’un bleu, pour le fond, l’autre jaune, pour la table. Matisse cherche à exprimer l’émotion entre la ligne et la couleur, et, par la simplification des formes, à créer un univers de signes, serein et lumineux. Un signe pour chaque chose. Une émotion à chaque regard... (Voir la vidéo).
Petit retour en arrière :
Annelies Nelck a grandi dans la petite ville de Vence dans les Alpes-Maritimes . Ses parents hollandais avaient acheté ici un terrain "Le Pioulier".
L'enfance d'Annelies se veut en harmonie avec la région sauvage et les conditions de vie modestes de la famille. Outre la nature et le mode de vie peu conventionnel de ses parents, Annelies a été façonnée à la pédagogie de l' École Freinet où sa mère enseignait.
En 1938, les parents d'Annelies l'envoient à Amsterdam. Au cours des cinq années suivantes en Hollande, elle découvre la peinture, fréquente l'académie des Beaux-arts et rencontre de futurs artistes. À Amsterdam, Annelies épouse l'étudiant en musique Ernst Katan, qui a été tué par les occupants allemands en 1944.
Enceinte de son fils Serge, Annelies retourne chez ses parents en France en 1943, devient mannequin et l’élève d' Henri Matisse, qui habite la villa « Le Rêve » à Vence pendant la guerre . Au cours des séances régulières, Matisse réalise des croquis, des dessins et des peintures tels que : Tulipes jaunes, fond de violet (1944), Annelies, tulipes et anémones (1944) et Liseuse à la table jaune (1944).
En 1947, elle épouse le sculpteur et peintre Jean Vincent de Crozals (*). Tous deux aident Henri Matisse dans les travaux des gouaches et les vitraux de la chapelle du Rosaire de Vence, achevés en 1951.
Après la guerre Annelies Nelck resta en contact avec Henri Matisse jusqu'à sa mort, elle lui rendit visite régulièrement à l'hôtel Régina de Nice. Après sa mort, Annelies a connu une période de transition difficile au cours de laquelle elle a voulu rompre avec certains aspects de son art. En 1954, elle a conçu un vitrail pour l'Anne Frank Realschule à Düsseldorf, qui a été récemment restauré. Son style avait beaucoup changé et s'était détaché de l'influence de Matisse.
L'amitié avec la secrétaire de Matisse Lydia Delectorskaya (**) a également duré jusqu'à sa mort (1996). Nelck ensuite exposa à la « Galerie Les Mages » fondée par Alphonse Chave à Vence avec des artistes tels que Jean Dubuffet , Henri Laurens et Pierre Bonnard.
En 1966, Annelies Nelck a présenté une exposition au musée Pouchkine de Moscou, grâce à la médiation de Lydia Delectorskaya . Le musée a acheté 13 de ses œuvres. Bien que Nelck et de Crozals aient divorcé en 1967, un partenariat artistique de longue date s'est poursuivi.
Au début des années 1980, Annelies Nelck vend Le Pioulier . Une période créative de liberté artistique commence. En 1999, paraît L'Olivier du Rêve , son hommage à Henri Matisse, un livre autobiographique sur lequel elle a travaillé intensivement pendant plusieurs années. De 1998 à 2010, l'artiste se consacre à la création de sculptures et d' assemblages à partir de morceaux de bois patinés qu'elle trouve au cours de ses promenades. (Voir la vidéo).
Elle s'installe à Nexon (Haute-Vienne) en 2011, où elle passe les trois dernières années de sa vie. Annelies Nelck est décédée le 22 août 2014 en présence de son amie Andrée Sabkowsky.
Annelies Nelck, Jean Vincent de Crozals, Henri Matisse. - Vence - 1953. © Photo Archives Matisse D.R.
(*) Jean Vincent de Crozals (1922 - 2009) : En 1949, Henri Matisse demande à Jean Vincent de Crozals de lui servir de modèle pour les peintures du Christ de la chapelle du rosaire de Vence. Avec son physique mince, musclé, la peau mate et le visage aux traits fins, parfaitement expressifs, Crozals est prédestiné à cette tâche. Étant très croyant et ayant une intuition exceptionnelle, il peut s’identifier à tout ce qui le touche fortement et Matisse s’en aperçoit vite.
(**) Lydia Nikolaevna Délectorskaya (1910 - 1998), est une artiste et amie russe d'Henri Matisse de 1932 jusqu'à la mort de celui-ci en 1954. Dans les années 1980, elle écrit deux témoignages sur ses années avec Henri Matisse, et sur sa façon de travailler. Elle reste en contact avec les musées et lieux d'exposition du peintre, n'hésitant pas à leur rappeler les exigences et appétits de l'artiste. Elle écrit à Pierre Matisse, fils du peintre : « Je n’y peux rien : le Patron a fait de moi une sorte de perfectionniste, autrement dit, un casse-pieds ». Elle meurt en 1998 à Paris à 87 ans. Elle aura fait préalablement don des différentes œuvres achetées et données par Henri Matisse à des musées, tout particulièrement à des musées russes.
La couleur surtout et peut-être plus encore que le dessin est une libération. H. Matisse.
Connu et reconnu de son vivant, la cote de Matisse n'a cessé depuis de monter ainsi que le montre, en 2009, la valeur historique de 32 millions d'euros atteinte par Les Coucous, tapis bleu et rose, œuvre mise en vente dans le cadre de la vente Bergé-Yves Saint Laurent à Paris. C’est pourquoi il a intéressé rapidement les faussaires. Elmyr de Hory et Eric Piedoie Le Tiec.
Mais ceci est une autre histoire...
Extraits du film « Vérités et Mensonges » (F for Fake), film semi-documentaire réalisé par Orson Welles en 1973.