“Vieux livres”, “livres rares”, “livres anciens”, “livres anciens et rares”, “anciens livres”, “livres rares et anciens” … autant de termes et d’expressions pouvant donner l’idée d’un âge certain. Mais détrompez-vous, un livre rare n’est pas forcément ancien, et un livre ancien n’est pas forcément rare. Cependant, un livre rare peut également être ancien, et un livre ancien peut aussi être rare.
Alors pourquoi un livre est-il devenu rare ?
Les raisons en sont multiples et pas toujours logiques ! Explications.
Il y a d’abord le temps. Si l’on part de la fin de la période des incunables (1500), un livre a toutes les chances de passer une existence sans encombre car les ouvrages du XVe ou du XVIe étaient imprimés sur un papier plus fort - pur chiffon - cent fois plus solide que les papiers en pâte de bois qui jaunissent rapidement et dont les bords se cassent. A cette période les livres étaient relativement protégés et passaient « une vie » en sécurité dans les bibliothèques des châteaux ou des monastères. Par contre, ils n’étaient pas forcément à l’abri de l’humidité ou des flammes... Autrefois les livres n’étaient vendus que reliés et en plein veau, la corporation des relieurs avaient donc par ce fait une certaine puissance. Plus le livre est ancien, plus il est rare n’est pas forcément vrai, il suffit de fréquenter les salles des ventes pour découvrir le nombre important d’ouvrages de ces périodes, dont certains à hauts prix ! Le prix n’étant pas le reflet de la « rareté » desdits livres... Par contre de tout ce que l’on a publié depuis le début du XXe siècle, une masse considérable est tombée en poussière. Il serait intéressant de faire une comparaison statistique, par exemple sur deux périodes de un siècle : 1550-1650 et 1900-2000, afin de déterminer les causes de l’obsolescence des livres. Vaste programme qui pourrait réjouir les archivistes paléographes !
Le principe de rareté peut s’imposer si votre livre a été historiquement influent, ainsi il est plus susceptible d’avoir de la valeur. Si c’était un livre qui a changé le cours de l’histoire, a donné un éclairage critique original ou a révélé une nouvelle découverte scientifique, les histoires attachées à ces livres augmentent leur intérêt. Un autre élément concerne la provenance. Un ouvrage dit « aux armes » et qui provient de la bibliothèque d’une personnalité historique connue prend évidemment beaucoup plus de valeur.
Une autre raison de la raréfaction est l’usage. Les dictionnaires, les livres d’éducation, les livres d’enfants, les romans populaires, lus, relus, prêtés ; les livres de cuisine, les ouvrages techniques, les missels et catéchismes, maniés sans cesse disparaissent beaucoup plus vite par un usage répété. Une grammaire du XVIIIe, dans son jus, aux couvertures propres et intérieur frais, devient alors un livre rare.
Le tirage est aussi un élément important de la rareté. Les petites éditions, les tirages à compte d’auteur, peuvent entrer en compte pour définir réellement un livre rare. On peut ajouter les tirages à petits exemplaires sur beaux papiers concernant les premières éditions. On découvre qu’un texte a été tiré en cinq exemplaires de « tête » sur papier Japon, cinquante sur Hollande et cent-cinquante sur Vergé pur fil, le tout comprenant l’édition originale. A cela peut s’ajouter quelques éléments qui rendent le livre « unique » : la dédicace ou une illustration de la main de l’auteur dont les bibliophiles et amateurs de littératures raffolent. On peut considérer aussi comme rare, une édition courante annotée de la main de l’auteur ou griffonnée de quelques remarques par un critique reconnu.
La rareté, parfois, tient à un élément plus troublant : les livres que l’on a détruits avec rigueur et qui n’ont pas été réimprimés. Les ciseaux d’Anastasie peuvent parfois faire des ravages, tout comme certains désherbages pratiqués sans grand discernement dans les bibliothèques...
On peut prendre en considération des causes historiques : les guerres. Les livres sur la Normandie, le nord ou l’est de la France ou l’histoire locale qui se trouvaient dans les bibliothèques de ces régions ont beaucoup souffert durant les deux dernières guerres. Quelques exemplaires ont été épargné... Malheureusement les livres ont toujours subi les dommages collatéraux des conflits nationaux ou internationaux. La rareté alors c’est de posséder un exemplaire, en bon état, sauvé du désastre des guerres.
Mais il y a aussi d’autres causes de destructions : les insectes et les moisissures. Les parasites du livres sont bien connus dans le monde entier : vrillette, poisson d'argent, psoque, termite occasionnent aux bibliothécaires et collectionneurs des sueurs froides ! Déjà Aristote, dans son Histoire des animaux, écrivait : « Dans les livres aussi, il y a des animalcules, certains semblables aux larves que l'on trouve dans les vêtements, d'autres à des scorpions sans queue, mais très petits. » Son scorpion sans queue était probablement le scorpion des livres du genre Chelifer cancroides.
Et puis, il y a les accidents : en 1910 une importante réserve des éditions Hachette fut inondée. Pendant la guerre de 14/18 le bateau qui apportait en France une partie du tirage de l’originale de Maria Chapdelaine, imprimée au Canada, a été torpillé et coulé avec son chargement...
On peut évoquer aussi les successions. Des héritiers mal informés prennent chacun trois ou quatre tomes d’un ouvrage qui en compte douze ! Voilà donc un bel ensemble qui perd sa cohérence et devient par ce fait dépareillé... Certains livres de voyage comportent souvent un atlas de cartes ou de planches illustrées, nettement plus grand et donc rangé sur un autre rayon que les volumes de texte. Ainsi ils seront perdus ou égarés lors des déménagements. On découvre souvent cette stupidité dans les descriptifs des catalogues des ventes aux enchères... Cela est suffisamment important pour que les experts le signale...
On voit bien que la rareté n’est qu’échelle de valeurs qui s’empilent les unes sur les autres pour aboutir à la rareté suprême, l’unicité, valeur que le livre n’est pas en mesure de disputer par exemple aux autographes et aux œuvres d’art, par nature, uniques. Le livre pour se justifier d’un titre de gloire éternelle doit montrer ce qu’il recèle, ce qu’il peut nous procurer comme émotion. Il doit tout déballer.
A consulter en ligne :
DEVILLE, Etienne (Historien. - Conservateur du musée et de la bibliothèque de Lisieux - 1878-1944) : De la rareté des Livres rares, servant de préface au catalogue des livres antérieurs au XIXe siècle de la Bibliothèque de M. Etienne Deville. (1904).
Les rayonnages de la Bibliothèque de l’Université Laval (Québec) sont littéralement peuplés de trésors. L’institution peut s’enorgueillir d’avoir admis les plus grands au sein de ses collections; de Samuel de Champlain avec ses récits de voyage en Nouvelle-France à Diderot et d’Alembert avec une première édition de l’Encyclopédie. Visite guidée au cœur d’une réserve peuplée de documents précieux.