Léon Deubel est considéré comme un des derniers « Poètes maudits », comme Arthur Rimbaud, Tristan Corbière, Charles Baudelaire… Un poète « maudit » est un poète qui se sent incompris et mis au banc de sa propre société et faisant partie du mouvement du Symbolisme. La poésie est sa manière de s'exprimer avec ses propres codes, mettant en scène ses angoisses et ses déceptions. Sa vie est souvent tragique : pauvre, inadapté à la vie sociale. Léon Deubel se suicide en se jetant dans la Marne après avoir brûlé tous ses manuscrits. Le 12 juin 1913, des mariniers retirent de la rivière son corps... Il a alors six sous en poche !
« Léon Deubel est mort de n'avoir pu s'adapter à son époque ; de n'avoir su s'asservir aux besognes qui assurent le pain quotidien et qu'il estimait injurieuses pour l'éminente dignité du poète. Il est mort pour n'avoir jamais regardé la vie qu'avec les yeux hallucinés du rêve. Il est toujours resté un enfant à la fois crédule et peureux, égaré parmi les roublardises actuelles, où sa simplicité, doublée d'imprévoyance et compliquée d'un orgueil ombrageux fut mise à rude épreuve. Il semblait un dormeur debout au milieu de gens très pratiques et très affairés. Lui, charpenté pour abattre de haute lutte tous les obstacles, il éludait les passages difficiles. Il tournait le dos à la vie afin d'être moins distrait de son songe intérieur. Il se leurrait de mots harmonieux, de rythme et de musique. Il a plongé si avant dans l'absolu qu'il a fini par ne plus discerner les nécessités et les contingences de la terre, le monde ni ses lois. Il s'est enveloppé d'une atmosphère irréelle et, réfractaire aux obligations communes, distant de tous, concentré en lui-même, il s'est immobilisé dans un fakirisme inquiétant. Et il a confondu avec la sérénité qu'il pensait avoir conquise son apathie sublime. Une seule chose était encore sa raison d'exister : son art. Et il estimait avoir bien rempli sa journée dès qu'il avait produit un beau vers. Car il aimait d'un amour insensé et romanesque la poésie, il lui sacrifia tout ici-bas : famille, amitiés, l'argent quand il en eut, bien-être possible, joies charnelles et santé. Lorsqu'il n'eut plus rien à donner, il lui dévoua sa vie. À l'attitude que Léon Deubel avait adoptée, il n'y avait point d'autre issue que ceci : la mort ou la gloire, — ou la gloire au prix de la mort. »
cf. Léon Bocquet, L'Est Républicain n°9449 du 18 août 1913.
En novembre 1897, il est nommé au Collège Louis Pasteur d’Arbois où il est maître d'internat. En 1898, Hector Fleischmann (*) publie un de ses premiers recueils de poèmes : Six Élégies d’un jeune homme mélancolique. On y trouve en Liminaire ces vers de Deubel :
(*) Fleischmann est un essayiste et romancier belge. Né à Saint-Nicolas en Belgique, Hector Fleischmann (1882-1914) est surtout connu pour ses travaux d’histoire consacrés à la Révolution et l’Empire. Admirateur de Verlaine, influencé par la Décadence, il publia des recueils de vers, fonda un mouvement poétique, le Somptuarisme, créa La Revue verlainienne. Il est aussi l’auteur de plusieurs romans, d’un pamphlet contre Jean Lorrain (Le Massacre d’une amazone) et d’une continuation de Sherlock Holmes (Le Rival de Sherlock Holmes).
Il fut le rédacteur en chef du journal L'Événement et le secrétaire général du théâtre de l'Œuvre. Il est nommé directeur de la Revue des curiosités révolutionnaires à partir de novembre 1910...
cf. Hector Fleischmann, M. de Burghraeve, homme considérable, présentation de Jean de Palacio, spécialiste de la littérature dite « décadente ». - Éditions du 26 octobre, 1906, 76 p. - (ISBN 978-2-492268-04-5).
Le vent fait virer ta bougie,
Petit ami sur qui voilà
Le front penché des nostalgies.
(…)
Et comme on pleure ou comme on chante,
Un soir tu répandis ta vie,
Comme une onde selon sa pente,
En mineur de six élégies.
Je vous signale la réédition de Régner (L’Arbre et la Rose, Ailleurs, Poèmes choisis et autres vers…), recueil poétique posthume publié dans l’édition originale en 1913 par les soins de l’ami de Léon Deubel, Louis Pergaud (*). Sorte d’anthologie de poèmes déjà publiés que Deubel aimait particulièrement, et de poèmes inédits. Régner s’accompagne également d’une longue préface de Pergaud qui s’attache à retracer la vie de son ami.
(*) Louis Pergaud est un écrivain né le 22 janvier 1882 à Belmont (Doubs) et mort pour la France le 8 avril 1915 à Fresnes-en-Woëvre. Il est notamment l'auteur de De Goupil à Margot, prix Goncourt 1910, et de La Guerre des boutons, paru en 1912.
Cette nouvelle édition est enrichie d’un liminaire par Irène de Palacio fondé notamment sur la consultation d’une partie du manuscrit préparatoire, ainsi que de photographies inédites. Il est disponible sur le site des éditions Complicités (http://editions-complicites.fr), sur Amazon, la Fnac, Decitre…, et dans toutes les librairies, sur commande. (202 pages - Parution 31 janvier 2023 - 20 €).
Editions Complicités, éditeur en littérature générale et universitaire
Créées en 1991, les Editions Complicités sont une maison d'édition française, lire . Elles publient des romans, des témoignages, des nouvelles et récits, ainsi que des biographies et monogra...
4ème de couverture :
En 1913, quelques mois après le suicide de Léon Deubel à trente-quatre ans, son ami Louis Pergaud se donna pour mission de réunir et publier ses plus beaux poèmes. Il établit ainsi un volume posthume, Régner, hommage frappant au talent de l'homme intransigeant qu'était Deubel.
Deubel avait fait de sa vie un sacerdoce, sacrifiant tout à son idéal élevé de la poésie. Son écriture rappelle celles de Verlaine et de Laforgue, avec des accents personnels qui la rendent peut-être encore plus poignante.
Régner est aussi un ouvrage original, presque à deux plumes, Pergaud adjoignant à son anthologie une étude nourrie sur l'homme et l'œuvre. Le présent volume, enrichi d'une préface fondée notamment sur la consultation d'une partie du manuscrit préparatoire, ainsi que de photographies inédites, se veut à son tour un hommage à ces deux écrivains, si différents, si complémentaires, et si prématurément fauchés par le destin.
Née en 1995, Irène de Palacio est journaliste et rédactrice indépendante, et s'est spécialisée dans la mise en valeur d'écrivains de talent, oubliés ou méconnus. Elle a préfacé Ruminations, œuvre en prose du poète Maurice Rollinat aux Editions du 26 octobre (2021), et est cofondatrice et rédactrice de la plateforme littéraire Anthologia (www. anthologiablog.com), qui depuis 2020 constitue une anthologie de textes et d'œuvres fondateurs, ainsi que d'études critiques : Steinbeck, H. Hesse, L. Gandillot, Ch. Cros, F. Séverin, A. de noailles...
De la même auteure, une réédition pourvue d'une étude préfacielle de « Ruminations, proses d'un solitaire », du célèbre poète Maurice Rollinat (1846-1903). Surtout renommé pour ses "Névroses", celui-ci a également composé ce très beau recueil de pensées, maximes et aphorismes. Cette édition critique vient combler un manque dans le paysage littéraire, et permet de remettre en lumière un poète brillant et attachant.
(ISBN : 978-2-492268-06-9).
Pour aller un peu plus loin... Deux ouvrages à découvrir :
Jean-Luc Steinmetz, Ces Poètes qu'on appelle maudits, Genève, La Baconnière, coll. « Langage », 2020 (ISBN 978-2-889600-27-4)
Pierre Seghers, Anthologie des poètes maudits du XXe siècle, Paris, Belfond, 1985 (ISBN 2-7144-1786-8)