Manuscrit en quête d’auteur...

Publié par HEURTEBISE sur 7 Septembre 2023, 09:36am

Tout commence par la réception du catalogue de « livres anciens, livres rares et manuscrits » de la célèbre librairie parisienne Coulet & Faure. C’était l’année 1982. Le numéro 239 de la brochure indiquait :

AYME(Marcel). Manuscrit autographe (fragment), 2 pages in folio, extraites d’un manuscrit. 450 francs.

Intrigué par cette présentation sommaire il me parut opportun d’en savoir plus. Le libraire ne pouvait m’en dire davantage, car ce manuscrit faisait partie d’un lot épars de textes et d’auteurs différents. Ses recherches (succinctes) sur ledit manuscrit pouvait lui faire penser à l’écriture d’un roman « dans le goût moyenâgeux » avec une touche d’humour décalé propre à l’auteur des Contes du chat perché. Où il est question de gastronomie gargantuesque, d’agapes et ripailles pour fêter le retour d’un soldat des Croisades... Il est vrai que Marcel Aymé, auteur prolifique, a traversé ma jeunesse et je me délectais de pourvoir sortir de la bibliothèque de mon père ses contes, romans et pièces de théâtre qui restèrent gravés dans ma mémoire. Cela est d’autant plus extraordinaire que mon père possédait l’œuvre intégrale ; beaucoup d’éditions originales, d’éditions illustrées, et d’études sur l’homme et l’œuvre de cet admirable conteur. Et plus tard je mis mes pas dans les siens cherchant à approfondir mes connaissances et fis partie de la Société des amis de Marcel Aymé, qui éditaient, aujourd’hui encore, un bulletin riche en renseignements et de belle qualité.

© Le bibliophile Heurtebise. Marcel Aymé.

Ainsi je commandai les deux feuillets manuscrits !

Quand je reçus les pages, un indicible doute se manifesta en moi. Je dirais un sentiment de déception. Après avoir lu et relu le texte germa en moi l’idée bizarre qu’il y avait erreur sur « l’auteur ». Mon premier geste fut de comparer le texte avec une superbe dédicace que Marcel Aymé avait donné pour La Jument verte dans l’édition illustrée par Chas-Laborde, que j’ai d’ailleurs reproduite dans mon ouvrage concernant Le Monde de la dédicace et de ses auteurs. Je ne possède pas des dons en graphologie, mais il y avait manifestement une différence d’écriture. Je sais que l’écriture change et évolue au cours des âges, mais là... Il me fallait donc une aide ; une personne capable de me donner un avis sérieux. Je me tournai vers Michel Lécureur, grand spécialiste de Marcel Aymé, qui avait publié un essai passionnant, La comédie humaine chez Marcel Aymé, publié en 1985 à La Manufacture. Il était venu plusieurs fois rendre visite à mes parents et nous avions organisé une visite de Dole sur les pas de Marcel tout en profitant d’une escapade bucolique à Villers Robert, lieu de d'enfance du petit Marcel.

La réponse de Michel Lécureur fut imprécise. Il n’affirmait pas l’authenticité du texte, mais tout en restant dans le vague, posait des questions... Il en informerait la famille de l’auteur.

Quelques temps plus tard et toujours sans réponse, je contactai les Amis de Marcel Aymé et envoyai les deux feuillets à Jean-Pierre Belleville, secrétaire de l’association.

Homme courtois connaissant, lui-aussi, sur le bout du doigt l’œuvre de l’écrivain, m’adressa un courrier sans équivoque : les deux feuillets n’étaient pas de la main de Marcel Aymé. Monsieur Jacques Sennepin, Président de l’Association et neveu par alliance de Marcel Aymé était catégorique, aucune relation avec un manuscrit inachevé de Marcel Aymé !

Me voilà donc de nouveau dans le désarroi.

Ainsi, chers amis bibliophiles, que penser de cette histoire ? Tous les experts ou libraires en ancien ayant travaillé sur les manuscrits sont passés devant ces deux pages de texte sans s'y arrêter ; et comment le nom de Marcel Aymé a-t-il pu leur venir en tête ? Mystère... Voilà un extrait de roman écrit par un « inconnu » peut-être célèbre, ce texte orphelin de son auteur... Le roman a peut-être été publié, mais sous quel titre ? Et ces deux pages ont-elles été réécrites ou modifiées ? La numérotation des feuillets intrigue : 154 et 155, ce qui laisserait évidemment supposer qu’il y a eu 153 pages avant et d’autres ensuite, démontre que l’histoire ne s’arrête pas là. Affaire à suivre...

Alors, amis bibliophiles, si vous avez une piste, n’hésitez pas à me donner votre sentiment.