L’écrivain Céline écrivit des milliers de lettres. Les éditions de La Pléiade proposèrent en novembre 2009 un volume consacré à sa riche correspondance : Choix de lettres de Céline et de quelques correspondants (1907-1961).
Édition d'Henri Godard et Jean Paul Louis. Gallimard / La Pléiade – 2009.
Ce volume propose un large choix de lettres de Céline, ainsi que quelques lettres à lui adressées ou le concernant, présentées dans l'ordre chronologique et couvrant plus de cinquante années : depuis le premier séjour que les parents de Louis Destouches l'envoient faire en Allemagne, jusqu'à sa mort en 1961, au lendemain du jour où il a annoncé à Gaston Gallimard le manuscrit de son dernier roman. Les inédits sont nombreux : de 1907 à 1915 – les séjours à l'étranger, les cuirassiers, la guerre et le combat –, par exemple, on ne connaissait quasiment aucune lettre.
Cet ordre chronologique, préféré à un classement par correspondant, n'est pas sans conséquences. Ce que les lettres permettent désormais de saisir, c'est moins la relation que Céline entretint avec tel interlocuteur que sa propre trajectoire, indissolublement liée à l'histoire du XXe siècle. Ce qu'elles révèlent, c'est l'extraordinaire variété de ses voix, des mieux connues aux plus surprenantes : les manières respectueuses et affectueuses du garçon s'adressant à ses parents et qui ne ressemblent pas à celui que met en scène Mort à crédit ; l'ardeur patriotique du soldat en campagne, en fort contraste avec les propos de Bardamu dans Voyage au bout de la nuit ; le ton déférent ou amical que Céline sait prendre avec les écrivains qu'il estime ; l'attitude protectrice qu'il adopte avec des femmes qui lui furent liées ; le tour dru et cru qu'il donne aux lettres adressées aux hommes avec qui il parle de sexe ; la tendresse qui pointe lorsqu'il écrit à son épouse depuis sa prison danoise ; le besoin d'être compris quand il tente d'expliquer le mouvement de la création littéraire telle qu'il la conçoit (ce qui fait de ces lettres, soit dit en passant, le meilleur accompagnement critique de son œuvre) ; et, bien entendu, la violence, violence des mots, des sentiments et des idées lorsqu'il est ou se sent attaqué, et, à partir de 1936 surtout, violence débridée de l'antisémitisme : dans un volume qui entendait serrer de près le mystère de Céline, il fallait que ce versant noir soit représenté. Il l'est donc.
Céline attire ou repousse, attire et repousse. «Fait par Dieu pour scandaliser» (d'après Bernanos), l'écrivain reste, comme l'homme, une énigme. D'abord en rupture avec la littérature de son époque, son œuvre est aujourd'hui l'une de celles qui nous parlent le plus. Mais à côté de tant de pages qui répondent à l'idée que nous nous faisons d'une littérature pour notre temps, combien d'autres sont la négation du lien que la création artistique cherche à établir entre les hommes? Ces Lettres nous font parcourir tout le chemin par lequel Céline en est arrivé là. Sans doute ne donnent-elles pas le mot de l'énigme. Mais, mieux qu'aucune autre source, elles nous permettent d'en faire le tour, au plus près.
© Bibliophile Heurtebise. - Lettre manuscrite de Louis-Ferdinand Céline adressée à la romancière belge Evelyne Pollet. -
Voici une lettre manuscrite de Louis-Ferdinand Céline adressée à la romancière belge Evelyne Pollet (*).
Une grande feuille écrite recto et verso à l’encre bleue pâle sur papier blanc passé. Ecriture parfois difficilement déchiffrable. (Lettre vendue par la librairie Heurtebise en 2008.)
Août 1947 ( ? ). - Thorwal
« Pendant mes 17 mois de réclusion (quartier des condamnés à mort) on m’a sorti chaque jour 12 minutes dans une cage de 2 mètres sur 2 mètres… pour me faire prendre l’air. Je ne voyais rien de cette cage, une palissade à 0 m,80 me fermait toute vue… »
« … et le duc d’Albe aimait bien aussi les cages… et le (…) aussi… et Louis XI ! Que faites-vous Evelyne ? Il y a du commerce entre le Danemark et la Belgique ? Ne pouvez-vous venir me voir ? Je vous embrasse. »
(*) Romancière belge, (1905-2005) Evelyne Pollet avait publié son premier roman, La Bouée, à l'âge de dix-neuf ans en 1926. Elle devint en 1933 la maîtresse de Louis-Ferdinand Céline à qui elle demanda à plusieurs reprises d'intercéder auprès de Robert Denoël pour qu'il publie différents manuscrits, sans succès. Ce n'est qu'en 1939 que Denoël accepta d'éditer Corps à corps, un roman qui ne parut, sous le titre de Primevères, qu'en septembre 1942. L'année suivante elle lui proposa Rencontres, un roman dont elle pensait, avec raison, qu'il était son meilleur livre et que, pour une raison inconnue, il n'eut pas le temps de mettre en chantier.
1926 "La Bouée"
1934 "L'Abîme"
1938 "La Maison carrée"
1942 "Primevères", paru en Belgique sous le titre de "Corps à corps" en 1943
1942 "Un Homme bien… parmi d'autres personnages"
1943 "Fumée de Darlington"
1945 "Grandes vacances en Angleterre"
1956 "Escaliers" - Son amour impossible pour Céline fut la grande affaire de sa vie, et même au-delà, puisque si on s’intéresse aujourd’hui à elle, c’est précisément en raison de cette relation qu’elle évoqua, de manière romancée, dans ce livre connu de tous les céliniens...
« La première fois que Céline vint chez moi, en mai 1933, j’avais vingt-sept ans. En janvier, j'avais découvert Voyage au bout de la nuit et ç’avait été un bouleversement. Je ne sais qui l’emporta chez moi, de l’admiration, de la surprise ou d’une tendre pitié pour un homme que je devinais solitaire, condamné à aller de ville en ville, de femme en femme. En même temps, j’appréciais son extraordinaire humour, doublé d’une vitalité telle que du Voyage, je sortis non pas démoralisée, mais stimulée. »
© Evelyne Pollet - (in La revue Célinienne – 1981).