Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le bibliophile Heurtebise

Le bibliophile Heurtebise

Anciennement librairie Heurtebise, "le bibliophile Heurtebise" propose des informations culturelles en relation avec les métiers du livre, mais aussi des descriptifs de curiosités bibliophiliques. Actualités littéraires, critiques, salons, foires aux livres...


Vente Hôtel Drouot « Pierre Drieu La Rochelle » - 14 décembre 2023 -

Publié par HEURTEBISE sur 9 Décembre 2023, 10:04am

Catégories : #beaux livres

Il est toujours émouvant, pour un ami des livres, mais aussi pour un bibliophile, de voir disparaître une bibliothèque. Surtout quand celle-ci est dispersée aux quatre vents des enchères...

Dans l’histoire de ces dispersions livresques existent de nombreux exemples qui ont fait date. Les vendeurs sont le plus souvent les collectionneurs eux-mêmes. Comme Pierre Bérès, Jacques Matarasso, Pierre Leroyou, Daniel Filipacchi, ils ont préféré disperser leur collection en vente publique plutôt que de les transmettre à des héritiers qui n'en apprécient pas autant la valeur...

Parfois, certains de mes bons clients me demandaient quelle suite donner à la vie de leur bibliothèque. L’âge venant, ils attendaient un conseil de ma part, m’expliquant que les enfants ou descendants n’étaient pas très concernés par l’objet de leur collection...

Depuis plus de vingt ans, le marché de la bibliophilie est donc porté par la vente de collections privée d'exception. Déjà en 1976, une partie de la bibliothèque de Sacha Guitry, éparpillée à Drouot ; en 2018, la bibliothèque de François Mitterrand, pour 1,5M€ ; l’impressionnante collection d’ouvrages surréalistes de Geneviève et J. P. Kahn en 2019 ; et la fabuleuse collection de Pierre Bergé en 2020...

Pierre Drieu La Rochelle (1893 - 1945).

Pierre Drieu La Rochelle (1893 - 1945).

         Ce jeudi 14 décembre 2023 sera dispersé les archives et la bibliothèque de Pierre Drieu La Rochelle. Drouot – Expert : Éric Fosse.

Sur ces feuilles manuscrites, parfois écrites à la diable, ailleurs soigneusement calligraphiées, Paul Morand se rencontre avec Albert Camus, Jean Paulhan avec Raymond Radiguet, Jean Cocteau, Paul Éluard, Robert Desnos, André Breton, Max Jacob, François Mauriac, André Malraux, Henry de Montherlant, Robert Brasillach, Claude Roy ou Jacques Audiberti. Et dans la profusion des carnets, des lettres, des manuscrits, nous est offerte la plus singulière des immersions au cœur de la création littéraire.

« Encore des trésors qui vont disparaître, des manuscrits, des brouillons, des lettres, des témoignages sur lesquels des chercheurs auraient pu se pencher pour éclairer l'œuvre d'un des très grands écrivains du XXe siècle... Pourquoi tout cela n'est-il pas parti à la Bibliothèque Nationale? » s’interroge un ami sur Facebook. je vous laisse, bien évidemment, formuler la réponse !

© Thierry Bouclier - Editions Pardès - Collection "Qui-suis-je ?"

© Thierry Bouclier - Editions Pardès - Collection "Qui-suis-je ?"

En guise de préambule je me permets de vous joindre ce texte introductif rédigé par Christopher Gérard, écrivain et critique, qui m’a très gentiment autorisé la publication. (Source : Archaïon).

 

      Après le splendide Drieu la Rochelle. Une histoire de désamours de Julien Hervier, le Pléiade Drieu la Rochelle, Romans, récits, nouvelles, et le Bouquins (six romans avec leur présentation, le tout couronné par un passionnant dictionnaire), voilà que l’écrivain maudit nous revient encore et toujours avec le catalogue - 374 lots - de la vente qui se tiendra le 15 décembre 2023 à l’Hôtel Drouot.

La préface en est rédigée par Julien Hervier, qui nous explique qu’il s’agit là de la dispersion de la totalité des archives en possession de la belle-sœur de l’écrivain, feu Brigitte Drieu la Rochelle, la veuve de Jean, frère de Pierre. Une partie des archives, aujourd’hui perdue, avait brûlé dans un incendie. Comme le dit bien le professeur Hervier : « L’ampleur de cette vente suffit déjà à établir l’importance de la place occupée par Drieu dans la vie littéraire française de l’Entre-deux-guerres et de l’Occupation ».

         La variété des livres avec envoi, lettres & cartes montre bien que Drieu fut reconnu comme un écrivain important dès ses débuts littéraires, dès 1920, comme en attestent les belles dédicaces de Marcel Proust, Maurice Barrès ou Max Jacob. Cette variété d’ouvrages dédicacés bien avant que le futur directeur de la NRF ne dispose du moindre pouvoir, par Desnos, Radiguet, Aragon bien sûr, Cocteau, Audiberti, Éluard et bien d’autres, démontre que Drieu fut mêlé à tous les courants littéraires, à tous les grands débats de l’Interbellum. En 1938, le jeune Sartre lui envoie ainsi La Nausée.

         Le catalogue illustré de clichés uniques présente des manuscrits, des lettres, mais aussi la Croix de Guerre de l’écrivain (avec les citations pour trois blessures sur le front) ou encore son attestation de réforme définitive (septembre 1939) et même un tract de condamnation à mort par la Résistance. Y figurent un carnet des Dardanelles de 1915, des manuscrits autographes et des tapuscrits corrigés, dont ceux de grands romans, de Blèche à Gilles, du Feu Follet (20.000 – 25.000 €) aux Mémoires de Dirk Raspe, sans oublier L’Homme à cheval, l’un de ses chefs-d’œuvre, ou Les Chiens de paille. Des pièces de musée, qui, à mon sens, devraient rester accessibles aux chercheurs. Brouillons, notes, étapes d’une même œuvre sont en effet du plus haut intérêt ; il serait désolant que ces documents disparaissent à jamais.

 

© Jean Mabire - Drieu parmi nous -

© Jean Mabire - Drieu parmi nous -

Mauriac fait l’éloge de Gilles, « un livre important, essentiel, vraiment chargé d’un terrible poids de souffrance et d’erreur… »

On y trouve aussi des brouillons d’articles parus ou non, comme ce tapuscrit d’un article interdit par la censure allemande (octobre 1940) : « Qu’est-ce que les Allemands dans Paris ? Ce n’est que nous-mêmes, notre crime, notre paresse, notre lâcheté. Les Allemands dans Paris, ce sont tous les enfants que nous n’avons pas faits. (…) Si les Allemands sont là, c’est que nous n’y sommes pas. »

Outre deux lettres de Gerhard Heller, trois livres de Jünger avec envoi, la correspondance avec Jean Paulhan (une soixantaine de lettres), citons l’émouvante lettre de Josette Malraux, qui lui demande, en 1943, d’être le parrain de son deuxième fils : « S’il y a des choses dont vous considérez qu’il est bon qu’elles soient enseignées à un homme, j’aimerais qu’il les apprenne de vous… André et moi, qui sommes sans frères, voudrions bien donner aux enfants des sortes d’oncles parfaits. »

Et aussi la lettre du 10 août 1944 adressée à son frère, considérée comme son testament : « Je n’étais nullement germanophile, mais il s’est trouvé que l’Allemagne a représenté tant bien que mal une partie des choses auxquelles je tiens et que représentait autrefois une certaine France nordique, normande, gauloise ou franque ». Il termine en s’affirmant communiste et précise : « j’ai trop combattu le communisme en Europe pour souhaiter même s’y rallier à la dernière heure ».

Une vente historique et qui concerne un écrivain incarnant à lui seul la profonde crise morale, esthétique et spirituelle du siècle vingtième.

© ARCHAÏON - Christopher Gérard - 

Le catalogue de la vente comprend 374 lots, dont voici quelques pépites !

37. UNE FEMME À SA FENÊTRE. Manuscrit complet de la troisième version, proche de la définitive publiée chez Gallimard en 1929, et ici daté de février 1929 à avril 1929. Dans trois cahiers de taille et de couleur différentes, divisés en chapitres qui portent des noms proches des définitifs, on trouve la structure définitive du roman dont le chapitre premier s’intitule Une femme à sa fenêtre. Estimation : 15 000 / 20 000 €

52. ADIEU À GONZAGUE. Manuscrit autographe complet de ce texte édité en 1964 chez Gallimard. 12 pages in-4, 9 en format paysage, 3 en portrait, à l’encre noire, titré, quelques ratures et ajouts. Au verso de la dernière page et non mentionné dans l’édition « Je l’ai tué je le sais bien / nous mourrons de l’impuissance de nos amis ». Joint le tapuscrit complet du texte, 9 pages dactylographiées in-4. Rédigé la veille de l’enterrement de Jacques Rigaut, qui se suicida le 6 novembre 1929 et qui fut l’ami qui inspira le personnage d’Alain dans le Feu Follet. Déchirant texte rédigé pour effacer la caricature de son ami dans son précédent texte La valise vide, et pour annoncer le roman à venir Le Feu follet. 3000/4000 €

68. ARAGON Louis : Une vague de rêves. Hors Commerce Paris s.d. (1924). E.O. (pa s de grand papier). Très bel envoi, « À Pierre Drieu la Rochelle qui m’abandonne à tous les vents, que j’attends tous les jours un peu ». Plaquette in-8, manque au dos et en tête de premier plat. 800/1000 €

70. ARAGON Louis : Les aventures de Télémaque. NRF Paris 1922. E.O. L’un des 35 ex. en S.P. sur Rives, 2ème papier. Envoi « A Drieu qui me fera perdre le goût des exercices si ça continue, ce livre démesuré comme mon amitié » ; Broché in-12 dos assombri avec petit manque. 500/700 €

79. BRETON André : Le revolver à cheveux blancs. Ed. des Cahiers Libres Paris 1932. E.O. en S.P. Envoi d’André Breton, « A Pierre Drieu la Rochelle, son ami ? André Breton ». Broché in-8, dos jauni et fragile, couvertures piquées. 400/500 €

84. COCTEAU Jean : Dessins. Librairie Stock 1923. E.O. en S.P. Bel envoi sur la couverture, « A Pierre Drieu la Rochelle, nous ne nous rencontrons plus que chez Maurras. Amitiés Jean ». Broché in-8, dos décollé et fendu. 700/1000 €

© Le Livre de Poche - Gilles - 1962.

© Le Livre de Poche - Gilles - 1962.

85. COCTEAU Jean : Poésies 1917-1920. Editions de la Sirène Paris 1920. E.O. L’un des ex. sur Alfa (non justifié). Envoi « à Drieu son ami fidèle ». Broché in-8, manques au dos, plats détachés avec manques. 400/500 €

86. COCTEAU Jean : Le coq et l’arlequin (notes autour de la musique). Editions de la Sirène Paris 1918. E.O. exemplaire justifié du premier mille. Envoi « A mes chers amis Drieu la Rochelle ». Broché in-12, manque au premier plat. 300/400 €

87. COCTEAU Jean : Le cap de bonne espérance. Editions de la Sirène Paris

1919. E.O. L’un des 500 ex. sur Papier bouffant, 2ème papier après 10 vieux Japon. Envoi « A mes chers amis Drieu », complété par une dédicace manuscrite de ARAGON qui a rajouté, « menteur !! ». Broché in-12 carré, couverture jaunie et tachée. 500/700 €

112. MALRAUX André : Royaume-farfelu. Gallimard Paris 1928. E.O. L’un des 50 ex. H.C. sur Alfa. Envoi avec un joli dessin de chat à «Madame Drieu la Rochelle et à Drieu avec un chat bien sympathique ». Broché in-8, dos avec manques. 400/500 €

156. GILLES. Tapuscrit corrigé et quasiment complet de ce roman édité chez Gallimard le 11 décembre 1939 et qui tomba sous le joug de la censure. Ici le texte est complet, même des passages qui ne furent pas rétabli en 1942, ainsi que des trois chapitres retranchés publié in fine dans le volume de la Pléiade consacré à Drieu la Rochelle (2012). Divisé en 4 parties qui ne portent pas encore leurs noms définitifs :

I. La Permission /1ère partie travaillée de 1937 au printemps 1938.

II. L’Elysée / Deuxième partie, « après remaniement »

290 pages dactylographiées et 41 entièrement manuscrites. Ensemble complet pour cette partie, le chapitre VI de la version définitive est absent car il appartient à la version remaniée encore une fois en 1939 aussi la numérotation des chapitres se suit ici jusqu’à XXIX.

III. L’Apocalypse / Troisième partie. 139 pages in-4 dactylographiées avec de nombreuses corrections manuscrites, ajouts, retraits, corrections. 4 pages sont manquantes au chapitre IX, la numérotation passe de 701 à 706.

IV. Epilogue / Quatrième et dernière partie.V84 pages dactylographiées et 9 entièrement manuscrites, avec nombreuses corrections, retraits, ajouts et béquets. La numérotation est divisée en deux ensembles d’une quarantaine de pages mais la partie est complète.

V. Trois chapitres retranchés. Tapuscrit de 46 pages in-4 dactylographiées numérotées à la main 310 à 323 puis numérotées 353 à 370. Quelques corrections manuscrites.

Exceptionnel ensemble autour d’un, si ce n’est le, texte majeur de Pierre Drieu la Rochelle où l’on reconnaît son auteur dans les deux formes de l’absolu selon lui que sont l’amour et la politique. 25 000 / 30 000 €

 

© Dessin de Redon.

© Dessin de Redon.

Les œuvres de Drieu ont été éditées dans la bibliothèque de la Pléiade en avril 2012. Malgré sa réputation sulfureuse qui a suscité dans la presse des articles outrés (« Un collabo au Panthéon », titre un article de Marianne, tandis que d'autres sont plus nuancés), Philippe Sollers se demande s'il faut craindre une réhabilitation de Drieu la Rochelle avec cette édition : « (...) Faut-il craindre, avec cette Pléiade, on ne sait quelle réhabilitation qui favoriserait le fascisme en France ? Des imbéciles automatiques ne manqueront pas de le dire, mais, à s’en tenir là, on est dans Pavlov, et on sait bien que le silence et la censure ne font qu’aggraver les fantasmes. »

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents