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Le bibliophile Heurtebise

Le bibliophile Heurtebise

Anciennement librairie Heurtebise, "le bibliophile Heurtebise" propose des informations culturelles en relation avec les métiers du livre, mais aussi des descriptifs de curiosités bibliophiliques. Actualités littéraires, critiques, salons, foires aux livres...


Bernard Clavel, l'artisan des mots bien taillés !

Publié par HEURTEBISE sur 28 Juillet 2011, 14:51pm

Catégories : #Les Brèves

   Bernard Clavel est né en 1923 dans une maison sans livres,
sans eau courante, sans électricité. De cette relative pauvreté,
il fera toute sa richesse. Il n'a jamais triché, il ne s'est jamais arrêté. Puissance, cohérence, humanité profonde : il a construit sa vie comme il a bâti son œuvre. « Je suis un écrivain. Essentiellement un romancier et un conteur, c'est-à-dire un homme qui porte en lui un monde et qui s'acharne à lui donner la vie. » Une impressionnante traversée de siècle pour cet autodidacte dont les manuscrits sont aujourd'hui conservés à la bibliothèque Cantonale et Universitaire de Lausanne.

Depuis plusieurs années déjà, le très prolifique lauréat du prix Goncourt 1968 se battait, en silence, contre les séquelles d'une attaque vasculaire qui l'avait cloué au lit.

Si notre littérature compte un grand écrivain populaire c’est bien Bernard Clavel. « Un écrivain en prise directe avec le mot humain » disait son ami Pierre Mac Orlan. Ce jurassien, qui m’appelait « mon pays ami », au cœur fidèle, a vaillamment construit une œuvre gigantesque où le Rhône a été souvent un des personnages central de ses romans, mais aussi le cœur de l’homme et de sa destinée. Fidèle client de ma librairie, il m’honorait de bons moments de paroles où nous devisions de choses et d’autres. Déjà de notre Jura ! Ses tristes souvenirs d’apprentissage à Dole, qu’il raconte magistralement dans « La Maison des Autres », de l’atmosphère des vieilles rues Doloises, de ses nombreux voyages et lieux de vie… Deux ans sous la coupe d’un patron injuste et brutal feront de lui un éternel révolté. Un peu comme Jack London, qui l’a tant fait rêver, et dont ses métiers seront « ses universités ». D’un tempérament serein il ausculte « la sale âme héroïque et fainéante des hommes », comme disait Céline et les mille métiers exercés lui ont donné une approche véritable de la peine des hommes et du monde du travail.

Il bourlinguait aux quatre vents de la planète et de ce fait mon catalogue suivait. Le Canada, puis l’Irlande, la Suisse, le Bordelais et enfin la région de Revermont près de sa ville natale de Lons le Saunier. Il a déménagé environ quarante fois. Désir de fuite ou besoin de ressourcer ? L’un va avec l’autre. Mais Josette Pratte, son épouse me confiait « nous jetons l’ancre ici, à Courmangoux, je désire rendre à cette région l’homme qui vient de cette région ». Dorgelès disait « Les femmes m’ont coûté vingt livres ! » et Bernard de répondre : « les déménagements m’ont coûté vingt livres. En réalité ils m’ont beaucoup appris et inspirés ». Bernard Clavel est un enraciné, qui le revendique et qui combat sans illusion la notion de Liberté. Il voyait le futur d’un œil triste. Comment imaginez vous le XXIème siècle ? Il me répondit : « Un trou noir. Il restera peut être un planète mais elle sera morte. Je n’ai aucun doute sur notre avenir ! » Un jour dans sa propriété de Courmangoux il m’avoua « Moi, j’ai une chance inouïe. J’ai donné mes manuscrits à la bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne qui les mit dans son abri antiatomique. Cela veut dire que même quand tout le monde sera mort il restera mes manuscrits. Quelle chance ! Il n’y aura personne pour les lire mais ils seront intacts. »

Et puis, un soir, la voix de Josette, affolée m’apprenant que Bernard Clavel avait fait une grave attaque cérébrale. Déjà, lors d’un salon du livre à Besançon, Bernard m’était apparu fatigué et las. Ma femme, sentais le poids de la fatigue extrême mouler le visage de l’écrivain. Il faisait chaud sous un chapiteau bondé et bruyant, une file de personnes attendant patiemment leur tour pour faire dédicacer un livre. Ma fille Diane, lui apporta un petit poème, cela lui fit plaisir ; il nous sourit, mais d’un air harassé…

Bernard Clavel, je l’ai déjà dit, est un homme épris de liberté. Il démissionna le l’Académie Goncourt. Hervé Bazin lui dit à ce sujet : « Tu es un con. L’Académie Goncourt c’est le pain des vieux jours ! » Et Bernard de répondre : « Eh bien tant pis, je suis au moins un homme libre. C’est aussi la raison pour laquelle j’ai toujours refusé les décorations. » Comme son compatriote jurassien, Marcel Aymé, qui, dans une lettre assassine à François Mauriac : « …les prierais qu’ils voulussent bien, leur Légion d'honneur, se la carrer dans le train comme aussi leurs plaisirs élyséens »…

Bernard Clavel est décédé le 5 octobre 2010 à Grenoble. Il avait 87 ans.

© F. Baget
 

«J'ai longtemps vécu sans écrire, confiait-il. Mais quand ça m'a empoigné, ça ne m'a plus lâché.» En effet. Il y en avait pour les adultes, pour les enfants, pour tout le monde. Car depuis que son directeur littéraire et ami, Jacques Peuchmaurd, l'avait encouragé à publier son premier roman, «l'ouvrier de la nuit», en 1956, on ne comptait plus les dizaines de titres publiés par l'auteur de «Malataverne» (1960), des «Fruits de l'hiver» (prix Goncourt 1968), du «Silence des armes» (1974), de «Quand j'étais capitaine» (1990) et des «Roses de Verdun» (1994).

Sans doute y avait-il dans cette abondance une forme de revanche, de la part de cet homme né dans une maison sans livres. Fils d'une fleuriste et d'un modeste boulanger de Lons-le-Saunier, il disait avoir «quitté l'école pour le fournil» à l'âge de quatorze ans, déclarait connaître «mieux le vignoble, les bateaux et la taïga que la littérature», et aimait «répéter que l'essentiel de son bagage lui venait de son enfance». On ne s'étonnera donc pas de l'admiration qu'il vouait à Jean Giono, ce fils de cordonnier dont il occupa le couvert à l'Académie Goncourt de 1971 à 1977, mais aussi à Romain Rolland ou Gilbert Cesbron.

C'est que pour ce maître conteur salué en son temps par Jean Guéhenno, André Maurois et Pierre Mac Orlan - qui voyait dans son œuvre une «victoire de la paysannerie lettrée»-, il n'était pas question de trahir, d'oublier, ou même de négliger son passé. Si Bernard Clavel fut l'un des grands romanciers populaires du second XXème siècle, c'est bien parce qu'il avait su rester, fondamentalement, un artisan.

Cf. article de Grégoire Leménager

 

 

Photo-025.jpg

Les grands escaliers. C'est à cet endroit où j'ai assisté au tournage du téléfilm « La maison des autres». B. Clavel était présent et donnait son sentiment sur les prises de vue.

 

Photo-021.jpg

 

La collégiale (vue du canal des tanneurs). Bernard Clavel aimait flâner dans les vieilles rues du quartier historique de Dole.

 

 

Lettre-Clavel.jpg

Lettre signée de Bernard Clavel. "Merci pour votre message, cher pays !"

  

 Clavel

 

 Paris-Match "Bernard Clavel, droit dans ses sabots".

 

 

 

 


 
 
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